DANSER UN CORPS SURRÉALISTE
Financé par le Commissaire du gouvernement fédéral à la culture et aux médias dans le cadre du programme NEUSTART KULTUR, [programme d'aide DIS-TANZEN] du Dachverband Tanz Deutschland.
Au cours des deux dernières années, je me suis consacré à l'exploration d'approches alternatives aux techniques d'improvisation dansée, centrées sur la libération de la création du mouvement du contrôle de l'esprit. Mon objectif premier a été de rechercher des méthodologies qui permettent à mon mouvement de danse spontané de se développer, libre de toute structure prédéterminée ou de connotations émotionnelles, permettant ainsi un détachement possible des influences sociétales. Mon but était de cultiver un sentiment de libération pendant l'improvisation du mouvement, émancipé des conformités imposées par les formes conventionnelles, les normes et mon propre parcours éducatif et de danse.
Je me suis particulièrement intéressée à l'intersection entre le mouvement et l'art visuel, principalement les peintures et les sculptures. J'ai trouvé une grande fascination et une grande inspiration dans les œuvres de peintres surréalistes tels que Jane Gaverol, Leonor Fini, Leonora Carrington, Toyen, Unica Zürn et Frida Kahlo. Dans leurs expressions artistiques, j'ai observé une diversité de corps qui ne se limitent pas à la forme humaine. En me concevant non pas comme un simple corps humain, mais comme une créature fantasmagorique, j'ai pu faire l'expérience d'une plus grande diversité de mouvements et d'états émotionnels.
Dans le cadre de ma recherche solo DIS_TANZEN, je me suis plongée dans le travail artistique de Lavinia Schulz et Walter Holdt, en me concentrant plus particulièrement sur leur collaboration entre 1920 et 1924, qui a donné lieu à une série remarquable de costumes.
Au cours de mon exploration, je me suis consciemment projetée dans les formes de ces costumes, plutôt que de mettre l'accent sur ma propre physicalité. Mon but était de prêter une attention particulière à mes sensations physiques et aux formes qu'elles créaient, en me laissant transporter dans l'espace et le temps. J'ai abordé les costumes avec différentes interprétations, me concentrant tantôt sur leurs formes, tantôt sur les émotions qu'ils évoquaient.
En déplaçant mon attention sur ces images extérieures, j'ai pu aborder ma performance avec une perspective plus légère, en trouvant la liberté dans mon corps. L'accent n'était plus mis sur ma forme spécifique, mais plutôt sur mon imagination et sur la façon dont je me projetais dans le costume. Cela m'a permis de m'affranchir des normes sociétales qui nous rendent souvent gênés par notre image corporelle dans différents espaces.
Dans le cadre de ma recherche pour libérer mon corps des normes sociétales, et en lien avec le travail de Lavinia Schulz et Walter Holdt, je me suis intéressée à l'approche queer du sujet du costume et me suis ainsi émancipée des codes de genre établis.
La libération du corps est un aspect fondamental des théories queer, qui remettent en question les normes et les attentes socialement construites en matière de genre et de sexualité. Le port de costumes offre une forme d'expression personnelle qui peut être particulièrement puissante dans ce processus de libération. En se déguisant, les individus peuvent jouer avec les constructions traditionnelles du genre et explorer des identités et des performances alternatives.
Des auteurs tels que Jack Halberstam ou Judith Butler affirment que le genre est une performance, une série d'actions et de représentations sociales qui façonnent notre compréhension de ce que signifie être masculin ou féminin. Dans ce contexte, les costumes jouent un rôle essentiel en tant qu'outils de la performativité du genre. Ils permettent aux individus d'explorer et d'exprimer des identités de genre qui ne sont pas conformes aux normes traditionnelles.
Les costumes offrent une forme de transformation et de métamorphose, permettant aux personnes de se présenter différemment et de jouer avec les codes et les symboles de genre. Ils peuvent être utilisés pour incarner des archétypes masculins ou féminins ou pour créer des personnages qui défient les attentes sociales.
Les costumes deviennent un moyen de résistance et d'appropriation de soi, permettant aux femmes ou aux hommes d'affirmer leur identité et de rejeter les restrictions imposées par les normes de genre traditionnelles. Ils offrent un espace où les individus peuvent explorer leur propre expression de genre et se libérer des contraintes sociales qui limitent la diversité des identités de genre, et mettent en évidence le pouvoir du costume en tant que véhicule d'expression et d'émancipation. Les costumes nous permettent de déconstruire les normes de genre rigides et ouvrent la voie à une plus grande diversité et liberté dans la manière dont nous nous identifions et nous nous présentons au monde.
J'ai trouvé un parallèle intéressant entre l'idée queer de costumes interchangeables permettant une non-conformité de genre et l'idée d'un corps dansant qui peut changer sa forme normative et humaine, aidé par exemple par l'incarnation des costumes de Lavinia Schulz et Walter Holdt. En travaillant ensuite avec l'imagination de plusieurs costumes différents, j'ai voulu aller encore plus loin dans l'expérience physique de la métamorphose dans mon improvisation autour des costumes.
Au cours des dernières étapes de mes recherches, je suis tombée sur une exposition présentant la vidéo de 9 minutes d'Eva Medin intitulée "Le monde après la pluie". Dans cette vidéo, un danseur portant un costume sculptural perd progressivement certains de ses composants pendant qu'il exécute des mouvements de danse. La ressemblance de ce costume sculptural avec le travail de Lavinia Schulz et Walter Holdt a fortement résonné en moi.
Dans la vidéo de Medin, "Le monde après la pluie", l'accent est mis sur l'interaction entre le corps mobile, vibrant et tendre du danseur, le costume métallique froid, rigide et immobile qui doit se briser pour permettre le mouvement, et les plantes vivantes délicates et fragiles. La transformation est un concept fondamental et central dans cette œuvre, car des éléments apparemment incompatibles s'unissent grâce au processus de métamorphose, facilitant ainsi le dialogue.
Ce qui me semble particulièrement intéressant, c'est la perspective d'aborder le mouvement du danseur non pas en anticipant ce que le corps va faire ou comment il peut être mis en mouvement, mais plutôt en considérant le corps du danseur comme un conduit permettant à la sculpture de prendre vie. Cette inversion de la relation entre le corps et le costume me captive.
Intriguée par les projets artistiques d'Eva Medin, j'ai exploré l'une de ses performances de 2018 intitulée "STORM STATION". Dans cette pièce, une danseuse revêtue d'un costume imposant se déplace sur une petite plateforme située sur l'eau. Ces contraintes confèrent aux mouvements du danseur une physicalité à la fois organique, robotique et précaire.
Un lien frappant émerge entre le travail de Medin et ma propre recherche chorégraphique. Alors que Medin cherche à fusionner le corps du danseur avec le costume, permettant au costume d'être habité par le corps, mon exploration consiste à fusionner le costume avec mon corps, de sorte que mon corps devienne un vaisseau pour l'incarnation du costume.